Guide Michelin : le malentendu
- onestdanslejus3
- 12 mai
- 4 min de lecture
Ou pourquoi les récompenses et autres listes en restauration sont trompeuses
C’est le temps des médailles pour la restauration québécoise: Canada’s Best 100 il y a quelques jours, bientôt les Lauriers de la Gastronomie, puis ce sera le Best 50 édition Amérique du Nord.
Mais la nouveauté que tout le monde surveille cette année, c’est évidemment le prestigieux Guide Michelin qui débarque au Québec. Avec lui l’espoir de voir quelques-uns de nos restaurants recevoir la récompense ultime: l’étoile!
Combien en seront décernées?
Y aura-t-il des établissements 2 ou 3 “macarons”?
A-t-on payé trop cher pour faire venir les inspecteurs redoutés?
Le Michelin créera t-il la même pression que partout ailleurs où il est présent?
La présence du guide rouge placera t-elle enfin la le Québec sur la carte de la gastronomie mondiale?
Certaines de ces questions trouveront leur réponses à partir du 15 mai prochain, il faudra sans doute attendre encore quelques mois pour les autres.
Un restaurant peut-il être meilleur qu'un autre?
Nul doute que les récipiendaires tireront de la prestigieuse distinction un bénéfice financier bienvenu, ainsi qu’une reconnaissance méritée. Et ils entraîneront probablement le reste d’une partie de l’industrie dans leur sillage.
Mais je constate que les conversations autour du Michelin n’évitent pas les mêmes raccourcis que celles liées aux autres listes et récompenses.
Ainsi, on entend largement que tel resto mériterait une étoile, que tel autre est le meilleur restaurant du pays. J’utilise moi même souvent ces abus de langage car l’impact est fort, la mise en valeur immédiate et la portée marketing puissante.
Mais en réalité, je pense que ces titres sont partiellement illusoires et doivent être pris avec un certain recul.
La question fondamentale est : un restaurant peut-il être meilleur qu’un autre? Vous me répondez oui, et vous avez raison. Mais vos critères, vos attentes et votre appréciation pourraient être différents des miens.
La question se transforme alors : un restaurant peut-il être objectivement meilleur qu’un autre? Là, ça se complique, et le travail pour décerner les récompenses également.
D’abord, c’est toujours intéressant de lire les modalités d’attribution.
Étoile du Guide Michelin, prix des Lauriers : quels sont les critères?
Concernant le Michelin en particulier, les critères affichés sont plutôt laconiques et largement sujets à interprétation (dans leur version publique en tout cas). Le guide prétend également ne donner aucune importance au service ainsi qu’au cadre. Douce illusion à mon avis que de penser qu’un plat ne dépend pas de son contexte! Pensez au petit rosé de Provence dégusté bien frais chez le vigneron pendant vos vacances. Vous ouvrez fièrement une bouteille avec vos amis de retour à la maison: la piquette vinaigrée est maintenant imbuvable. Ce qui a changé: le contexte.
Je peux imaginer que les inspecteurs soient formés pour en faire totalement abstraction, mais alors quel intérêt alors? Note t-on un magicien pour sa capacité technique à cacher des cartes dans ses manches, ou pour l’effet spectaculaire de son tour?
Et ce qui est paradoxal, c’est que le guide rouge revendique de récompenser le restaurant et non le chef, ce qui aurait alors eu plus de sens.
Le Canada’s Best 100 propose au jury de soumettre une liste de leur 10 meilleures expériences de l’année. Les Lauriers font l’effort remarqué de détailler les critères et leur méthodologie dans un règlement accessible au public. Mais dans un cas comme dans l’autre, la façon d’apprécier ces critères va dépendre évidemment du jury.
Des jurys, des visions
Que ce soient des membres de l’industrie, journalistes spécialisés ou grand public, que les votes soient pondérés ou non selon la densité de population : chaque méthodologie possède ses points positifs et négatifs, mais au final la place de l’interprétation personnelle est énorme et peu accompagnée.
Je passe ici rapidement sur les énormes lacunes quant aux potentiels petits votes entre amis ou carrément les conflits d’intérêts. Je ne préjuge de rien, mais une récompense perd forcément de sa valeur si le propriétaire de l’établissement récipiendaire est membre du CA de l’organisation, voire directement du jury.
Et puis il y a le nombre de restaurants à visiter. Pour être complètement partial, il faudrait que chaque juge visite et note l’intégralité des 18000 établissements du Québec chaque année. Évidemment impossible. Alors, ils et elles se partagent le travail, se fient certainement au bouche à oreille, à leurs réseaux et aux nombreuses listes déjà existantes, elles-mêmes fruit d’un jugement pré-établi.
Ce qui ne se mesure pas
Alors quelle serait la méthode idéale pour établir un classement juste et sans parti pris? Je ne sais pas, peut-être n’y en a-t-il pas et c’est sûrement une bonne nouvelle.
Car le secret d’un bon restaurant n’est ni dans l’assiette, ni dans le nombre de serveurs et encore moins dans la présence ou non de nappe blanche. C’est je pense dans la capacité de l’établissement à faire passer aux convives un moment spécial, à étonner, à rassurer, à cajoler, à créer des moments hors du temps.
Comment noter le plaisir d’un repas avec ses grands parents à la cabane à sucre qui sert des fèves aux lard beaucoup trop cuites?
Comment prendre en compte la poignée de main chaleureuse du patron qui salue ses habitués?
Comment récompenser la modeste cantine et sa poutine graisseuse qui est la meilleure de l’année, puisqu’elle annonce les vacances?
Le fantastique repas 8 services sera-t-il à classer dans vos bonnes expériences si vous vous êtes fâché ce soir là avec votre date?
Alors, prenons les listes et les récompenses avec recul, et apprécions les pour ce qu’elles sont vraiment : des repères, des encouragements, des données absolument subjectives.
Un restaurant titré n’est pas universellement meilleur qu’un autre. Il correspond à certains critères arbitraires interprétés subjectivement à un moment donné.
Mais soyez en sûrs, ça ne m’empêchera pas de me réjouir à l’annonce du restaurant de l’année et d’attendre avec excitation les étoiles, que j’espère très nombreuses!
Émeric
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