Chef cuisinier et paternité, confusion et culpabilité
- André-Nicolàs
 - 17 sept.
 - 4 min de lecture
 
La seconde où j’ai su que mon amoureuse était enceinte, j’ai répondu de la manière la plus inusitée et détachée possible

« Ok. Wow! Veux-tu du pain? Je suis devant la boulangerie. Désolé de ma réaction love. C’est juste que j’écoutais du gros punk-rock et tu me prends un peu à un moment weird du matin où je suis encore dans les bras de Morphée et j’ai les yeux encore collés ».
« Vraiment dude ?! C’est ça ta première réaction? »
« Je t’appelle plus tard », lui dis-je.
Je n’y croyais pas au début. Comment ça peut aller aussi vite que ça?
C’est quoi cette magie-là qui opère naturellement sans qu’on s’en rende compte?
Mon travail de chef consiste à dealer avec les imprévus tous les jours, 7 sur 7.
Quand une si belle et bonne nouvelle se pointe le bout du nez, ma première
réaction c’est de demander si elle voulait du pain…?
Situation maladroite à souhait. Déformation professionnelle.
Peut-être.
La suite s’améliore à peine.
À une semaine de la date prévue de l’accouchement, elle me texte;
Je crois avoir crevé mes eaux. Je crois que ça s’en vient!
Mon dieu…déjà !!? Pour de vrai !?
La veille d’un changement de menu ?! Mamma mia!
Putain qu’il y a des moments où je ne comprends pas la vie.
Moi qui n’aime pas trop souvent ces imprévus, je décide de prendre mon trou et
de les assumer pleinement, ces fameux aléas de la vie.
Cette fameuse loi de Murphy à la con.
Durant l’accouchement, pendant qu’elle souffrait le calvaire de sa vie, elle me
demande quelque chose à manger.
- Oui mon amour.
- J’ai trop faim.
- Parfait ! Je cours à la cafétéria.
Mon highlight de l’accouchement, mis à part de la naissance de mon fils, est la
cafétéria du CHUM. Mon petit moment à moi pour méditer sur l’évènement le
plus spectaculaire de ma vie quand je ne peux plus être assis et un menu du jour
franchement agréable.
Je décide de lui rapporter un bœuf bourguignon accompagné d’une purée de
pommes de terre et un minestrone.
Croyant bien faire….
- Es-tu sérieux !?
- Un bœuf bourguignon et un minestrone !? Ça ne va pas dans ta tête ou quoi ?!
Disons que ce n’étaient pas les plats les plus pratico-pratiques pour un
accouchement.
Espèce d’andouille ! Je me disais dans mon for intérieur.
Trêve d’anecdotes...
Revenons à nos moutons.
Je crois que la difficulté d’être un père et un chef est de savoir trouver un équilibre.
Après cinq semaines de congé de paternité, je suis revenu avec un drôle de
sentiment dans le corps. Un mélange d’anticipation et de culpabilité, d’où le titre
de ce texte.
Mais je dois l’admettre, même durant les plus beaux moments de connexion
avec mon fils, je sentais cette synergie entre ma cuisine et moi.
Comme une lointaine conversation.
C’est extrêmement étrange et difficile à expliquer, mais une partie de mon
cerveau est restée collée aux parois de ces quatre murs, entre le four, la
chambre froide et le frigo, même la plonge. Ma copine devait travailler 3 mois
après l’accouchement et j’ai pris la difficile, mais ô combien nécessaire décision
de prendre des semaines supplémentaires pour l’appuyer dans ses démarches
professionnelles. En plein été, notre période la plus achalandée.
Mais décider de quand même prendre cette décision-là. Malgré tout.
D’être ce genre de père.
Que le plus important c’étaient ces moments-là.
Car, eux, ne reviendront jamais.

À cet instant précis, mon esprit a vacillé entre culpabilité et devoir.
Mes semaines de paternité n’ont pas été de tout repos, mais m’ont permis de
régénérer mon corps et de calmer mon esprit. Tenter du moins.
Me rappeler des choses importantes et d’autres choses qui l’étaient moins.
Mais une chose est sûre : j’ai ressenti une forme de remords et de culpabilité
face à mon staff et mes patrons.
Celle de ne pas être présent à des moments clés.
Le métier de chef cuisinier et le rôle de père ne vont pas ensemble. C’est un fait.
En plus de ça, ressentir cette impuissance face à mon incapacité d’aider mon
amoureuse durant les moments difficiles du post-partum. Un retour compliqué,
confrontant et pas forcément agréable pour être bien franc. Une démission après
l’autre. Mon sous-chef et collaborateur depuis 8 ans m’annonce son départ...
Bâtir et rebâtir.
Être coincé dans cette drôle de position. Me sentir tiraillé de tout bords tout côtés.
Danser face contre mur, me soucier des autres et en même temps devoir
recommencer à chaque fois le même processus.
Frustrant et épuisant à la longue.
Perdre un peu plus la raison. Tout en étant reconnaissant. Que mon propre
sentiment n’accote en rien celui des personnes en difficulté et des femmes qui
doivent endurer une douleur physique inexplicable et le poids d’une charge
mentale qui s’étalera sur toute une vie.
Donc la moindre des choses fut que je sois un allié dans cette nouvelle
parentalité.
D’être présent et aimant, même quand je suis dans le doute ou dépassé.
Parce qu’à la fin de la journée, ce qui m’importe le plus, c’est de sentir l’étreinte
franche et amoureuse de mes humains à moi. Et ça, ça n’a pas de prix.
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